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Contexte

Avant d'aborder l'histoire même des Nouillers, il est nécessaire de la resituer dans le contexte de l'époque. La géographie du pays des Santons est très différente de celle de la Saintonge contemporaine. L'océan Atlantique pénètre beaucoup plus profondément dans les terres. Le marais de la Petite Flandre, qui ne sera asséché qu'au XVIIe siècle par des ingénieurs hollandais spécialistes en poldérisation, n'est encore que le Golfe de Saintonge, s'avançant jusqu'à Muron. Moragne est alors un port de commerce. La partie occidentale du département est principalement immergé ; les quelques terres émergées forment un archipel, entre Thairé et Corme-Royal à l'est et l'île d'Oléron (Uliarius) à l'ouest. L'essentiel des terres émergées sont boisées, et le site actuel des Nouillers est recouvert d'un épaisse forêt giboyeuse, où pullulent les sangliers et les cerfs.

Estimation de la situation des Nouillers dans la Gaule gallo-romaine. Les principales cités de la région sont Muron (Muro) au nord, Saintes (Mediolanum Santonum) au sud, et Aulnay (Aunedonnacum) à l’est. Reproduction de la carte de l’abbé Lacurie[1].

À une vingtaine de kilomètres plus au sud, Saintes, ou plutôt Mediolanum Santonum, est une riche cité ayant acquis une importance économique et politique considérable. En l'an 16 avant notre ère, sous le règne d'Auguste, elle devient la première capitale de la province d'Aquitaine et se pare de magnifiques monuments au cours des deux siècles suivants.

Fondation

La Boutonne, qui se jette quasiment dans l'estuaire de la Charente, porte alors le nom de Vultonna : il découle de la racine hydronymique celtique vol-, suffixée de -onna. En gaulois, voleo signifie « se baigner », tandis que onna désigne une source ou un cours d'eau[note 1]. Jusqu'à une époque assez récente on prononçait d'ailleurs « Voutonne » en Saintonge.

Superposition d'une vue satellite des marais de Rochefort et d'une carte altimétrique. L'essentiel des régions de couleur turquoise étaient immergées, laissant deviner le vaste estuaire de la Charente (Carantonus), où se jetait la Boutonne (Vultonna).

Selon Lesson[2], une voie romaine passait non loin des Nouillers :

Proche Tonnay-Boutonne passait une voie romaine qui n'est indiquée par aucun auteur pas même par M. Lacurie qui a fait un travail spécial sur les routes romaines de la Saintonge. Cette voie devait venir d'Archingeay ou des Nouillers, passer au pied du burgus, longer la hauteur du Puy-du-Lac et se rendre au port de Moragne, sur le bord de l'Océan, tandis qu'un embranchement devait gagner Muron par Genouillé.

Le plus probable est qu'elle reliait Saintes au port de Moragne via Archingeay. Cette dernière abritait une source médicinale très réputée chez les Gallo-Romains. À son sujet, Lesson écrit :

Le nom d'Archingeay est emprunté aux langues celtique et latine car il vient d'arc, lieu habité, cinctus, entouré et geay, forêts. C'était un vicus gaulois ayant une tombelle au lieu encore nommé aujourd'hui la Motte, et qui, au temps de l'occupation romaine, devint un bourg très fréquenté. La vieille société Gallo-Romaine s'y rendait comme on le fait aujourd'hui pour les eaux médicinales de Vichy et de Bagnères, car les eaux minérales d'Archingeay, jouissaient d'une grande célébrité. Les désoeuvrés y affluaient comme les malades ; les premiers pour y recevoir des émotions et des jouissances, les autres dans l'espoir d'y rétablir leur santé.

Ainsi, Archingeay était entouré de forêts, et la bonne société saintaise s'y rendait en cure pour les vertus de ses sources. Des sources dont les propriétés, selon les analyses modernes, présentaient des similitudes avec celles de Contrexeville et Saint-Amand. Il est alors raisonnable de penser que toute cette effervescence a poussé les paysans de la région à gagner des terres toujours plus à l'est, et défricher les terres de Novelarii, notamment le long de la Boutonne.

Vestiges archéologiques

Buste d'homme

Au Port-Laroche fut découvert un buste gallo-romain, dans des circonstances aujourd’hui inconnues. Il est aujourd’hui exposé au Musée des Antiquités Nationales de Saint-Germain-en-Laye. C’est une pièce en calcaire de 75 cm de haut, par 65 cm de large et 35 cm d’épaisseur, fragment d’un plus grand groupe sculptural. Éprouvé par le temps, il laisse néanmoins deviner certains détails. Il est décrit comme « un buste d’homme nu à tête barbue grotesque rentrée dans les épaules, [qui] paraît supporter le poids d’un personnage dont les mains s’appuient sur les épaules et le genou sur la tête du buste »[3].

Les interprétations de ce qu’a pu être l’oeuvre dans son ensemble varient. Certains auteurs y voient une représentation de Silène, dieu grec de l’Ivresse, portant une outre[4]. D’autres observent un géant dominé par le second personnage. Ce pourrait alors être un anguipède, créature à forme humaine dont le corps finit en queue de serpent. Il serait alors terrassé par Jupiter, dieu latin des cieux. Le « Jupiter à l’anguipède » est un ensemble typique du panthéon gallo-romain, symbolisant le combat du ciel et de la lumière contre les forces du mal issues de la Terre, le triomphe du jour sur la nuit. Jupiter est usuellement paré de son armure et de ses atours, monté sur un cheval piétinant de ses sabots l’anguipède. Cependant, le Jupiter de cet ensemble aurait été représenté debout, supporté par l’anguipède. Plusieurs exemples de ce type ont été retrouvés non loin dans la région de Bordeaux[5]. Une interprétation corrélée à la précédente consiste à voir Jupiter lancer ses éclairs sur la Terre, incarnée par le géant, pour en faire jaillir des sources. Les gallo-romains amalgamaient Jupiter, père des dieux latins, à Taranis, dieu de la foudre dans la mythologie celtique. Ainsi le « Jupiter à l’anguipède » semble associé à la symbolique de l’eau dans certaines régions de Gaule, où nombre d’entre eux ont été retrouvés à proximité de thermes, sources ou plans d’eau. Cette dernière conclusion appuie l’hypothèse que les Nouillers étaient connus, dès l’Antiquité, pour ses nombreux cours d’eau.

Moulin à eau

En 2008, le club de plongée de Saint-Jean-d’Angély participe à une prospection[6] de la Boutonne non loin de là, aux environs du Port-Laroche. Un ensemble de bois et pieux, équarris et possiblement percés de mortaises, y émergent de la berge. Les datations en laboratoire les placent dans une fourchette allant du Ier au IIIe siècle, ce que confirme des tessons d’amphore découverts à proximité immédiate. À défaut de voies de communications qui pourraient indiquer la présence d’un pont ou d’un quai, l’hypothèse la plus probable est la présence d’un antique moulin à eau. Peu sujette aux crues, la Boutonne est adéquate pour accueillir un moulin à eau, à condition d’aménager un bief[note 2] suffisamment large pour compenser son faible débit. Il est d’ailleurs à noter que le lit de la Boutonne s’est quelque peu décalé depuis l’époque antique, une des raisons pour lesquelles l’installation meunière a pu être ensevelie au fil des siècles. Les restes visibles aujourd'hui correspondraient au boisage du bief.

Poteries

En 1886, des ouvriers découvrent un puits funéraire lors de la mise en culture d'un bois appartenant à M. Morin. Ils « ont exploré jusqu’à trois mètres une excavation ronde, pleine de cendres, d’os, de débris de poterie »[7]. Les couches supérieures contenaient des tessons de pots et bujours relativement modernes, jusqu’à des briques et tuiles romaines dans les couches les plus profonde.

Notes

  1. La même construction a donné son nom à la Vologne, dans les Vosges, et à la Voutonne, un affluent de la Sarthe.
  2. Canal parallèle au lit de la rivière, destiné à amener l’eau à la roue du moulin.

Références

  1. Auguste Lacurie. Carte du pays des Santones sous les Romains. Imp. lith. de Charpentier, Nantes.
  2. René-Primevère Lesson. Histoire, archéologie et légendes des Marches de la Saintonge. Henry Loustau et Cie, Rochefort, 1845.
  3. Louis Maurin : Carte archéologique de la Gaule, volume 17/1. Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1999.
  4. Émile Espérandieu : Recueil général des bas-reliefs, statues et bustes de la Gaule romaine, volume 4. Imprimerie nationale, 1911.
  5. Gilbert-Charles Picard : Imperator caelestium. Gallia, 35(1):89–113, 1977.
  6. Pascal Texier. Les Nouillers-Torxé (Charente-Maritime). Archéologie de la France - Informations, 2008. En ligne
  7. Société des archives historiques de la Saintonge et d’Aunis, éditeur. Revue de la Saintonge et de l’Aunis, volume 6. A. Picard et Z. Mortreuil, Paris, Saintes, 1886.