Ausone

Decimus Magnus Ausonius, dit Ausone, était un grammairien et rhéteur, né en 309 ou 301 dans la région de Bordeaux (Burdigala). Il accède à la notoriété en 364 lorsqu'il est nommé précepteur de l'empereur Gratien. Ce dernier le nomme par la suite questeur du palais en 374, préfet du prétoire des Gaules en 377, consul en 379, faisant de lui l'un des hommes les plus puissants de l'Empire. Il se retire dans le bordelais en 383, à la mort de Gratien, jusqu'à sa propre mort en 394.

La maison de campagne

Ausone est surtout connu pour être un érudit gallo-romain, ayant laissé à la postérité une vingtaine de livres, recueils de poésies et de correspondances. Il y fait des descriptions de ses villégiatures dans sa maison de campagne du Pagus Noverus. Par « maison de campagne », il faut comprendre tout un domaine agricole, où ses serviteurs cultivent les champs et la vigne, acheminant son vin à Saintes sur des chars traînés par des chevaux. Voici l'une des descriptions que fait Ausone de son Pagus Noverus au cours de ses échanges épistolaires avec son ami Paulin de Nole résidant à Saragosse :

« Ter juga Burdigalae, trino me flumina caetu secernunt turbis popularibus : otiaque inter vitiferi exercent colles, laetumque colonis uber agri, tum prata virentia, tum nemus umbris mobilibus, celebrique frequens ecclesia vico : Totque mea in Novero sibi proxima praedia pago, dispositis totum vicibus variata per annum : Egelidae ut tepeant hyemes, rabidosque per aestus adspirent tenues frigus subtile aquilones. »

L'abbé Jaubert en fait la traduction suivante[1] :

« Séparé du peuple de Bordeaux au moyen de trois montagnes et des lits de trois fleuves, les vignobles de mes collines, la fertilité de mes champs si agréables au laboureur, la verdure de mes prairies, l'ombre mobile de mes forêts, la compagnie nombreuse d'un bourg très peuplé, occupent tout mon loisir. Toutes mes métairies, qui se touchent dans le canton de Novero, sont tellement variées, pendant les différentes saisons de l'année, que les hivers y sont un peu chauds, et que dans les grandes chaleurs les zéphyrs y font ressentir une fraîcheur un peu vive. »

En latin, pagus désigne une bourgade, un district rural semblable au canton actuel, voir un pays, comme dans Pago Santonico, la Saintonge. Noverus correspond à une « ferme nouvelle ».

Depuis des siècles, historiens et antiquaires ont débattu sur la localisation sa maison de campagne ; nombre d'entre eux la situent aux Nouillers. Plus récemment, aux XIXe et XXe siècles, les conclusions se font dissonantes et contradictoires, chacun élaborant des théories plus ou moins crédibles.

Arguments en faveur

Antériorité des références

Lesson[2] cite Dadin de Hauteserre[3] comme étant le premier auteur « qui ait placé aux Nouillers le pagus noverus du poëte Ausone » (sic), en 1648 :

« Noverus pagus, in agro santonico, in quo loculenta prœdia habuit Ausonius, testis ipse in epistola ad Paulinum. »

Ceci n'est pas complètement exact. De Hauteserre fut peut-être le premier à situer la résidence d'Ausone aux Nouillers en sa qualité d'historien et d'homme de lettres. Cela étant, une vingtaine d'année auparavant, Sanson, cartographe, publiait son atlas de la Gaule antique[4] qui situait précisément le pagus noverus aux Nouillers.

Reproduction de la carte de Nicolas Sanson, 1627. Noverus se situe sur la rive droite de la Vultonna (Boutonne), en aval d'Angeriacum (Saint-Jean-d'Angély), et à quelques lieues au Nord-Est de la confluence avec la Canen[tellus] (Charente).

Dans le cartouche, on peut lire :

« Galliae antique descriptionem hanc (Lector Benevole) ad veterum mentem geographice delineatam; [...] et Latinis cuiuscum generis scriptoribus, qui sus Imperio Romanorum floruerunt [...] ex nostris latine scribentis Ausonium Burdegalensem »

Il semble donc que les plus anciennes sources pointent en direction des Nouillers. Néanmoins, il existe un vide de plus d'un millénaire entre ces sources du XVIIe siècle et la mort d'Ausone ; aussi est-il difficile de savoir quel crédit leur apporter.

Tradition du pays

Dans ses notes, l'abbé Jaubert[1] indique que l'on voyait encore, aux environs de 1769 aux Nouillers, une maison que les anciens prétendaient avoir été celle d'Ausone.

Là encore, il est difficile de déterminer quel poids accorder à ces témoignages[note 1]. Il est extrêmement peu probable, compte tenu des périodes troubles qu'à traversé la région au cours de l'Histoire, qu'une quelconque villa romaine eut encore été debout sur ses fondations après plus de mille ans. En 1769, si tenté qu'elle ait existé, elle n'était qu'une ruine. Sinon, sa construction était plus récente, et ne pouvait donc être liée à Ausone.

Trois fleuves

Ce pourrait être la Garonne, la Dordogne et la Charente. Certains auteurs ont objecté que ce pourrait être la Seudre, et non la Charente. Considérant que le niveau de la mer était plus élevé qu'aujourd'hui, l'océan Atlantique arrivait aux portes de Saujon : le large estuaire de marais salants que l'on peut contempler de nos jours était alors noyé. En amont de Saujon, la Seudre n'est qu'un ruisseau. Il semblerait maladroit qu'un Bordelais compare la Garonne et la Dordogne à la Seudre, dont le débit est plusieurs centaines de fois inférieur à ceux des précédentes. La Charente, certes plus modeste que ses consœurs girondines, tiendrait davantage la comparaison.

Arguments en défaveur

Preuves matérielles

Aucune fouille archéologique n'a permis de mettre à jour les ruines d'une villa romaine, ni le moindre indice prouvant qu'Ausone ait un jour vécu aux Nouillers. Cela s'applique à toutes les thèses qui aient pu être avancées sur la villa d'Ausone.

Arguments fantaisistes

Attusia Lucana Talisia

Attusia Lucana Talisia, dite Attusia, était la belle-sœur d'Ausone, sœur (probablement aînée) de sa femme Sabine. Son existence est attestée par les écrits d'Ausone. Elle décède assez jeune, vers la fin du règne de Valentinien I, c'est-à-dire peu avant ou pendant qu'Ausone était précepteur du futur empereur Gratien. Il lui rend hommage en ces termes :

« Notitia exilis nobis, Attusia, tecum,
Cumque tuo plane conjuge nulla fuit.
Verum tu nostræ soror es germana Sabinæ
Affinis quoque tu, Regule, nomen habes.
Sortitos igitur tam cara vocabula nobis,
Stringamus mœsti carminis obsequio.
Quamvis Santonica procul in tellure jacentes,
Pervenit ad Manes exsequialis honos. »

Ce que Jaubert traduit par[1] :

« Je vous ai très peu connu, ô Attusia ! Et je ne me souviens point d'avoir jamais vu votre époux. Vous étiez cependant la sœur de mon épouse, et vous, Régulus, étiez mon beau-frère. Honorons de nos tristes vers deux personnes qui portent des noms qui nous sont aussi chers. Quoique votre sépulture éloignée de nous, soit dans le pays de la Saintonge, vos mânes sont cependant honorées des honneurs funèbres que nous leur rendons. »

Dans les années 1790, un sarcophage fut découvert près de la fontaine d'Archingeay. L'extérieur portait une croix latine, ce qui indique que son occupant était chrétien. À l'intérieur, on découvrit des ossements qui se désagrégèrent au touché, accompagnés de somptueuses parures : des bagues, pendants d'oreille, et bracelets en or, et des paillettes, seuls vestiges d'une robe richement décorée. Il est raisonnable de penser que cette aristocrate ou bourgeoise gallo-romaine était venue en cure à Archingeay, y chercher la guérison dans ses eaux thermales, et que la maladie l'a emportée.

Bourignon[5], antiquaire et contemporain de la découverte, affirme qu'il s'agissait de la dépouille d'Attusia, ce qui serait sensé prouver la proximité du Noverus d'Ausone. C'est là un raisonnement fallacieux, par lequel deux suppositions sont sensées se prouver mutuellement ; on sait que la haute société saintaise se rendait en cure à Archingeay, et sans plus d'indices, il pourrait s'agir de n'importe quelle femme de bonne famille.

Unicité de la villa

La tradition associera sans doute pour longtemps encore à la commune des Nouillers ce qui n'est possiblement qu'une légende.

Notes

  1. À titre de comparaison, la tradition du pays veut que la commune voisine de Tonnay-Boutonne était le fief de Ganelon, le personnage de la Chanson de Roland. Toujours selon la légende, Charlemagne l'y aurait assiégé pour le châtier de sa traîtrise ; à la fin de la bataille, il aurait fait jeter et emmurer son corps dans une oubliette du donjon. Cependant, le Ganelon historique, évêque de Sens, mourut de sa belle mort cinquante ans après Charlemagne, sans probablement avoir jamais mis les pieds à Tonnay-Boutonne.

Références

  1. 1,0, 1,1 et 1,2 Pierre Jaubert. Œuvres d'Ausone traduites en françois. Tome 4. Delalain, Paris, 1769.
  2. René-Primevère Lesson. Histoire, archéologie et lègendes des Marches de la Saintonge. Henry Loustau et Cie, Rochefort, 1845.
  3. Dadin de Hauteserre. Rerum Aquitanicarum, libri quinque. Colomiers, Toulouse, 1648. p. 65.
  4. Nicolas Sanson. Galliae antiquae descriptio geographica. 1627.
  5. François-Marie Bourignon. Recherches topographiques, historiques, militaires et critiques sur les antiquités gauloises et romaines de la province de Saintonge. Meaume, Saintes, 1801.