Église Saint-Pierre
L’église Saint-Pierre est sise au cœur du bourg, dominant l’ancien champ de foire, aujourd’hui « place de l'Église ».
Les influences
Saint-Pierre des Nouillers est une église romane à file de coupoles, sise au cœur du bourg en direction de Jérusalem ; le parvis donne ouest-nord-ouest et le chevet est-sud-est. Elle est construite au cours du XIIe siècle. L’utilisation des coupoles, traditionnellement utilisée dans les architectures de Byzance, de Syrie ou de Chypre, est sans doute importée en France pour la construction de la cathédrale de Cahors (1090-1113)[1]. Cette technique est ensuite perfectionnée à Saint-Étienne-de-la-Cité de Périgueux, puis l’abbatiale de Souillac, Saint-Pierre d’Angoulême étant la quatrième à en bénéficier (1110-1128), et chacune apportant son lot d’améliorations. Aussi, et bien que l’on y retrouve de nombreuses similitudes avec les cathédrales de Périgord[note 1] et de Quercy, elle est l’une des églises d’Angoumois et de Saintonge dont l’architecture profite directement du rayonnement de la cathédrale d’Angoulême.
Tandis que les églises romanes du XIe siècle en Haute Saintonge sont riches en moulures et détails sculptés, les Marches de la Saintonge que forme la région de Saint-Jean d’Angély au nord de la Charente se singularise par un style très sobre. Au XIIe siècle la décoration des églises tend à s’uniformiser sur toute la Saintonge, sauf l’église Saint-Pierre qui conserve cette sévérité. Mais c’est aussi l’une des très rares églises-forteresses de Saintonge ; ses murs sont surhaussés et crénelés aux alentours du XIIIe siècle pour lui donner une vocation défensive. Elle en est la seule représentante, avec l’église de Pérignac dans le canton de Pons, à une époque où ces églises défensives étaient répandues en Aunis[2].
Le style saintongeais-angoumois de l’église Saint-Pierre d’une part, et sa vocation défensive à l’image des églises d’Aunis d’autre part, soulignent la position stratégique du bourg des Nouillers au cœur des Hautes Marches de Saintonge : à flanc de coteau dominant le vallon du Gouttemer, il se tient aux portes de Saint-Savinien, point de passage de la Charente. Verrou du fleuve déjà lors des invasions normandes, ces fortifications sont un témoignage des rivalités et guerres entre Français et Anglo-Gascons. La rive droite, passée sous domination anglaise lors du mariage d’Aliénor d’Aquitaine avec Henri Plantagenêt en 1152, est reconquise par Philippe Auguste à l’issue de la guerre franco-anglaise (1202-1214). Le fleuve marque alors la principale frontière entre France et Aquitaine, au cours des fluctuations des guerres et des traités, et ce jusqu’au rattachement définitif de l’Aquitaine à la France à l’issue de la guerre de Cent-Ans, en 1453. Si ce modeste bastion n’a suffit à repousser quelconque envahisseur, il offrait toutefois une protection tant temporelle que spirituelle à la population de la paroisse.
L’extérieur
Saint-Pierre des Nouillers est bâtie en blocs de calcaire blanc, typiques des carrières du val de Charente. L’emprunte au sol est quasiment rectangulaire, dépourvue de transept. À l’origine existaient un clocher carré à hautes arcatures ainsi qu’une abside en cul-de-four[3][4]. L’abside a disparu il y a longtemps, et fut remplacée par un chevet droit à fenêtre en ogive. L’ancien clocher était surmonté depuis le XIIIe siècle d’une petite flèche conique encadrée de quatre clochetons pyramidaux à peine plus petits. Il s’est effondré en septembre 1842.
Le nouveau clocher est porté par le mur de chevet, auquel est adossé la sacristie, qui fait appentis extérieur à l’église. Les hauts murs sont presque nus, soutenus de contreforts plats et peu saillants. Ces murs sont chacun percés en leur milieu de trois petites baies en plein cintre, et à leur sommet, de petites fenêtres de guet à même la charpente. La façade est massive, sévère.
Le portail à quatre voussures, sans tympan, est supporté par des colonnes, encadré de chaque côté par d’étroites arcades aveugles. Arcatures et chapiteaux sont simplement épannelés et sans décor, portés par des colonnes monolithes.
Au-dessus, une corniche à modillons en bec-de-flûte porte une fenêtre à colonnettes dont le cintre est orné de trois tores et de pointes de diamant[3].
Un clocheton fut construit en 1898 sur le contrefort d’angle nord de sa façade, afin de porter une horloge. Sa tour est percée de fines ouvertures aux airs de meurtrières, accentuant l’aspect de forteresse. Elle est couverte des tuiles creuses de la région, de couleur ocre, masquant les coupoles de l’extérieur. Deux plaques furent apposées pour marquer cette adjonction. La première honore la mémoire de Pierre Jouve, qui fit leg à la commune de sa fortune et qui servit, en partie, à la construction du clocheton :
« A la mémoire de la famille de M. Pierre Jouve, de ce lieu »
« Monument élevé sous l’administration de MM A. Eloir maire et F. Fraprie adjoint, étaient conseillers MM : C. Charrier, T. Praud, J. Chiffaud, A. Drahonnet, P. Gourbail, E. Couteau, A. Bourguignon, L. Veteau. 1898. Ch. Bunel architecte. S. Brunet entrepreneur. »
Sur ce détail de carte postale datée de 1900, le contraste des tons de pierre calcaire distingue le clocheton moderne du reste de la façade d’origine. La cloche fut fêlée et remplacée vers 1950[5].
L’intérieur
À l’intérieur, l’aspect austère disparaît pour laisser place à une simplicité presque dépouillée. Sous sa forme actuelle, la nef unique divisée en deux travées et le chœur ont des dimensions égales en longueur et en largeur. Ce chœur se situe donc à l’emplacement d’une ancienne troisième travée ; le chœur d’origine, surmonté du clocher, ayant disparu. Ils sont séparés par des colonnes romanes accolées à des pilastres plats, très simples, portant des doubleaux en arc brisé. Les travées et le chœur sont chacun éclairé de part et d’autre d’une baie romane, dépourvue de vitraux. La première travée est surmontée d’une plateforme en bois, dont la rampe d’accès débouche sur la porte principale.
Les travées et le chœur sont couverts de très belles coupoles byzantines sur pendentifs. Il s'agit de structures hémisphériques portées par des socles carrés, formés par les colonnes, pilastres et doubleaux. Cette architecture offre des avantages sur trois points : (i) technique bien sûr, allégeant le poids la toiture et concentrant les charges sur des piliers, contrairement à une voute en plein cintre qui exerce sur les murs une poussée uniforme et dirigée vers l’extérieur[note 2], (ii) symbolique, où l’élévation du plafond, l’augmentation des volumes, et l'effet sonore ainsi obtenus accordent puissance et solennité à l’église en tant qu’édifice, et à travers elle à l’Église en tant qu’institution, et enfin (iii) spirituelle, lorsque l’angulaire et l’arbitraire humain s’élèvent vers une voute céleste et harmonieuse. Avec un diamètre d’environ 8 mètres[note 3], les coupoles sont dans la moyenne basse d’Angoumois et Saintonge. Cependant en nombre de coupoles, Saint-Pierre des Nouillers fait figure d’exception. C’est la seule église de Charente-Maritime à avoir conservée trois coupoles[3]. À titre de comparaison, en Charente, seule la nef de Gensac-la-Pallue en a également quatre, mais de seulement 5,20 mètres de diamètre [1].
Les murs, d'un blanc éclatant, offrent une bonne luminosité malgré l'étroitesse des ouvertures. Ils portent encore les armes des seigneurs de la paroisse. Le temps a rendu la plupart d'entre elles méconnaissables, mais un blason porte encore les couleurs de la famille Isle. Dans un acte de 1424, il est dit que leurs armes sont peintes à l'autel Saint-James, où est leur sépulture. Dans un acte du 15 décembre 1471, Olivier de Coëtivy, seigneur de Taillebourg, donne droit de sépulture dans l'église Saint-Pierre des Nouillers à Jean Isle, écuyer, seigneur de la Matassière[6]. L’acte précise que ses père, aïeul et bisaïeul y sont déjà enterrés. Sur le même document, un acte de sépulture de 1473 précise que le tombeau de l'Isle était devant l'autel principal. Ainsi on peut penser que l'emplacement du tombeau se situe aujourd'hui sous l'actuelle sacristie, et qu'il fut possiblement détruit par les travaux de terrassement et maçonnerie qui accompagnèrent sa construction au XIXe siècle.
Les deux adjonctions modernes, à savoir le mur de chevet et le clocheton, déparent quelque peu avec le style du reste de l’édifice. Le premier se situe à hauteur de l’arche séparant jadis la troisième travée du chœur.
Des légendes indiquent que l'église est connue pour ses souterrains. Le plus long la relierait au château de Bois-Charmant, tandis qu’un autre irait jusqu’au château des Razes. Cependant, rien ne semble indiquer, aujourd’hui, que ces galeries aient un jour existé.
Le mobilier
Le mobilier liturgique, beaucoup plus récent, est quant à lui finement décoré. La chaire en pierre est sculptée de motifs Louis XV ; on accède à sa cuve octogonale par un escalier tournant en pierre. Le bénitier date possiblement de la même époque. Sa cuve est agrémentée de godrons torsadés, et repose sur un balustre frappé d’un écusson.
Dans une enquête de 1424 faite pour Lambert Isle, il est indiqué que le maitre-autel était alors dédié à Saint-Jacques[note 4]. Il fut probablement détruit lors de l'effondrement de 1842.
Les fonds baptismaux originaux, datant du XIIe siècle, sont aujourd’hui conservés au musée de Saint-Jean-d’Angély. La cuve est ornée en son centre d’une créature apocalyptique, comme enfermée dans une cage, et entourée de motifs géométriques rappelant une variété de croix : principalement la croix de saint André (×) qui rappelle les motifs de la fenêtre de façade, mais aussi la croix grecque (+) et la croix patée (✠). La bête est dominée de deux étoiles à six branches, associée dans la symbolique chrétienne à la superposition de « I » et « X », l’étoile qui guida les rois mages. A posteriori, probablement vers la fin du Moyen-Âge, elle fut frappé des trois lettres « IHS ». Ces deux monogrammes découlent respectivement des initiales et d’une translittération incorrecte en latin de « Ιησουσ Xριστοσ », le nom de « Jésus-Christ » en grec. On peut ainsi y voir le Seigneur se posant en rempart contre la bête : en recevant le sacrement du baptême, le nouveau chrétien est remis de ses péchés, le préservant des œuvres du malin.
Notes
- ↑ Les files de coupoles sont particulièrement présentes en Périgord, où l’on dénombre plus de la moitié de celles construites dans le sud-ouest de la France.
- ↑ Ceci étant dit, cet argument s’applique essentiellement aux cathédrales, sans commune mesure avec les églises paroissiales ; ces dernières ayant des coupoles davantage par volonté de reproduire les premières que par réelle contrainte technique.
- ↑ Estimation, à mesurer précisément.
- ↑ « Saint-James » dans le texte.
Références
- ↑ 1,0 et 1,1 Charles Daras. Les églises à file de coupoles dérivées de la cathédrale d’Angoulême en Aquitaine. Cahiers de civilisation médiévale, 21:55-60, janvier-mars 1963.
- ↑ 2,0 et 2,1 René-Primevère Lesson. Histoire, archéologie et légendes des Marches de la Saintonge. Henry Loustau et Cie, Rochefort, 1845.
- ↑ 3,0, 3,1 et 3,2 Charles Connoué. Les églises de Saintonge, volume 3, Saint-Jean d’Angély. Delavaud, Saintes, 1957.
- ↑ Jean-Luc Flohic, éditeur. Le patrimoine des communes de Charente-Maritime, volume 2. Flohic, Paris, août 2002.
- ↑ Centre départemental de documentation pédagogique de Charente-Maritime. Début d’inventaire archéologique à partir du pays de Saint Savinien sur Charente. 1984. p. 108
- ↑ Archives départementales de la Charente-Maritime. Titres féodaux, famille l'Isle. E 262.