Jean-Joseph Jouneau

Jean-Joseph Jouneau est né le 12 juillet 1756 au village de Dauve, en la commune de Barret, du canton de Barbezieux.

Carrière militaire

Il est dit qu'il reçu l'honneur d'intégrer l'école de cavalerie de Lunéville dès son plus jeune âge[1]. Il rejoint ensuite l'infanterie, stationné en Angoumois en 1779. Il est lieutenant de gendarmerie dans l'île de Ré lorsque, le 23 mars 1790, il est nommé l'un des trente-six administrateurs du département de la Charente-Inférieure, pour le district de La Rochelle, et démissionne de la gendarmerie le 26. Il est élu au Directoire du district le 27 juillet suivant ; à ce titre il est chargé, le 22 octobre, de la répression de la jacquerie de Varaize[2], près de Saint-Jean-d'Angély, au cours de laquelle le maire de la commune avait été exécuté par les insurgés.

Le 30 mai 1791, il donne sa démission du Directoire pour concourir à un poste dans la Gendarmerie nationale du département et, le 4 juin, il est nommé lieutenant. Le Directoire l'assigne au poste de commissaire chargé de la formation des gardes nationaux devant contribuer à la défense des frontières.

Député de la Charente-Inférieure

Il est cependant élu à l'Assemblée législative comme député de la Charente-Inférieure le 30 août 1791, le sixième sur dix, par 317 voix sur 528 votants [3]. Le 28 septembre suivant, il démissionne de sa charge de commissaire pour se consacrer à la vie politique. Au cours de son mandat, il siège au côté droit de l'assemblée, parmi les Girondins et monarchistes modérés, refusant de s'associer aux plus extrémistes. Il dénonce en vain le projet du député Carra d'organiser les citoyens en milices armées de piques, en contre-pouvoir à la garde nationale issue du milieu bourgeois : ce seront les célèbres « sans-culottes ».

Arrestation et emprisonnement

Sa carrière politique bascule le 14 juin 1792, à propos de l'amnistie de Mathieu Jouve dit « Jourdan Coupe-tête », sinistre figure de la Terreur dans le Vaucluse, et auteur de nombreuses arrestations arbitraires, exactions et massacres entre Avignon et Carpentras. Jouneau a alors une violente altercation avec son collègue Jean-Antoine Grangeneuve qui, alors très engagé à gauche, prend la défense de Jourdan ; le premier provoque le second en duel, qui refuse et répond par des insultes, auxquelles Jouneau rétorque par des coups de canne. Grangeneuve porte l'affaire en justice pour... tentative d'assassinat ! Jouneau est incarcéré le 3 août à la prison de l'Abbaye[4]. Lors de sa comparution face au tribunal, il fait état de l'inviolabilité que lui confère son statut de député. L'Assemblée est alors informée que Jouneau ne peut être poursuivi en correctionnelle à moins qu'elle ne déclare qu'il y a lieu à accusation. Une décision est alors prise en ce sens le 16 août, mais Jouneau reste emprisonné. Il échappe au massacre du dimanche 2 septembre presque par miracle. Ces heures sombres de la Révolution sont relatées dans les détails par Cassagnac dans son Histoire du directoire[5].

Dans son désespoir, au plus fort des tueries, il écrit une lettre à l'un de ses amis où l'on peut lire le passage suivant :

« Lorsque vous recevrez cette lettre, je n'existerai plus. Depuis hier soir – 6 heures – on ne fait autre chose que de massacrer les prisonniers de l'Abbaye. Plus de deux cents sont déjà tombés sous le coutelas des patriotes égarés, qui paraissent plus altérés de sang à mesure qu'ils en répandent. Mes trois compagnons de chambre ont déjà subi leur sort. Mon tour ne peut manquer d'arriver bientôt. Au nom de l'humanité et de ma triste fin, faites passer sur mes malheureux enfants, qui font toute ma peine au moment de quitter cette demeure de désolation, l'amitié que vous m'avez toujours témoignée. Je vous dis un éternel adieu. »

Le lundi, alors que ses bourreaux viennent le chercher dans sa cellule, l'un d'eux le reconnaît, et la discorde s'installe entre eux sur l'inviolabilité des élus du peuple. Celui qui défend sa cause lui procure les moyens d'écrire à l'Assemblée. Selon Ternaux[6], il réussit à faire passer à Jean-Aimé Delacoste, également député de la Charente-Inférieure, « le billet suivant dont nous avons retrouvé l'original écrit d'une main ferme et assurée, quoique depuis vingt heure le signataire entendit les cris des victimes qu'on égorgeait à quelques pas de lui » :

« Lundi, midi.
Mon cher collègue, ce brave canonnier qui vous remettra cette lettre m'a dit que, si j'étais réclamé de l'Assemblée nationale, je ne courrais pas le moindre risque dans le moment actuel. Faites tout de suite ce que votre prudence et votre amitié vous engageront. J'attends tout de votre zèle et de la sagesse de l'Assemblée nationale.
Jean-Joseph Jouneau. »

Le décret tant attendu est produit immédiatement[7] et Jouneau, délivré, se présente triomphalement à l'Assemblée escorté d'une douzaine de personnes. Il déclare à la barre : « Avec votre décret sur la poitrine, je suis sorti de ma prison au milieu des acclamations du peuple. Ces braves citoyens m'ont accompagné avec le plus grand empressement. Leur zèle atteste le respect qu'on a partout pour vos décrets ». Alors qu'il s'apprête à reprendre sa place, le Montagnard Maribon-Montaud s'insurge de voir un accusé siéger parmi eux. Le député Lacroix, venant au secours de Jouneau, fait alors valoir que celui-ci n'est pas sous le coup d'un décret d'accusation, mais seulement jugé pour une querelle particulière. Au cours de ces journées de folie meurtrière, ce sont au moins 133 prisonniers, et plus de 300 selon certaines sources[note 1], qui furent massacrés à la prison de l'Abbaye, au terme de procès expéditifs menés par Stanislas Maillard dit « Tape-Dur ».

Grangeneuve refuse de lever sa plainte, ce qui donne l'occasion à Marat d'ironiser sur le peu de sensibilité de ce soit-disant philosophe. L'Assemblée se résout alors à ordonner le retour de Jouneau en son sein, en tant que prisonnier sur parole[6][8]. Le 16 septembre, le directeur du jury écrit qu'on lui a remis les pièces relative à l'altercation, et demande la comparution de Jouneau. La législature touchant à son terme, le 20 septembre, l'Assemblée vote l'amnistie à l'unanimité et suspend le mandat d'arrêt contre Jouneau. Celui-ci regagne alors la Charente-Inférieure avec ses enfants, ayant perdu sa femme à Paris.

Traversée du désert

Conservateur, il est considéré comme suspect sous la Terreur, et doit se tenir à l'écart de la chose publique. Les habitants de Rochefort le dénoncent pour incivisme et, le 12 janvier 1793, le ministre de la Guerre annonce à la Convention sa destitution de son grade de lieutenant-colonel de gendarmerie. Il a alors la disponibilité pour se consacrer à sa vie privée et épouse en secondes noces, le 8 juillet 1793 à Saintes, Marie-Anne-Henriette d'Abbadie[note 2], propriétaire du domaine des Razes par sa mère.

Retour en grâce et fin de carrière

La fin de la Terreur marque son retour en grâce. Le 16 octobre 1795, il est à nouveau nommé Administrateur de la Charente-Inférieure. Le 8 juin 1800, il est nommé conseiller général par arrêté consulaire, fonction qu'il occupe pendant trente-trois ans sous l'Empire, la Restauration et la monarchie de Juillet. Il accède en 1806 à la présidence du canton de Saint-Savinien[2], et en 1808 à la mairie des Nouillers, mandat qu'il tient vingt-six ans.

Le 22 août 1815, il est réélu député de la Charente-Inférieure par l'arrondissement de Saint-Jean-d'Angély par 136 voix sur 149 votants. Il rejoint alors la minorité « constitutionnelle, » composée de républicains et monarchistes modérés, dénonçant avec force la loi du 12 janvier 1816 qui frappe d'exil d'anciens députés avec lesquels il avait siégé. Suite à la dissolution de la « Chambre introuvable » par Louis XVIII, il est à nouveau réélu le 4 octobre suivant par 140 voix sur 165 votants. Le 1er février 1819, avec ses collègues députés de la Charente-Inférieure, il demande au roi le rétablissement de la préfecture de la Charente-Inférieure à Saintes. Il est nommé, le 22 août suivant, vice-président du collège électoral du département. Il se retire de la vie politique nationale en son domaine des Razes, pour se consacrer à sa commune et à l'agriculture. Il laisse de son passage au parlement le souvenir d'un patriote sage et désintéressé. Rainguet[9] rapporte l'anecdote suivante, toute à son honneur :

« M. Deziles, directeur de la poste à Saint-Jean d'Angély, venait d'être destitué pour cause de politique. Jouneau réclama sa réintégration près du directeur-général. On lui opposa que c'était un fait consommé ; qu'au reste, le gendre du réclamant allait être mis à la place de M. Deziles. Jouneau n'en persista pas moins et fit maintenir l'ancien titulaire. »

Le 18 février 1820, il est nommé par le roi membre correspondant du conseil d'agriculture pour l'arrondissement de Saint-Jean-d'Angély. Pour avoir introduit les mérinos avec succès, et donné l'exemple de la substitution de la tourbe de marais au bois dans les ateliers de distillation, il est fait chevalier de Saint-Louis en 1824. Il décède aux Nouillers en son domaine des Razes le 26 janvier 1837, à l'âge de 80 ans, et est enterré dans l'ancien cimetière de la commune[8].

Descendance

De son mariage avec Marie-Charlotte Franquiny de Feu, il a quatre enfants :

  1. Henri-Adam, maire des Nouillers.
  2. Julien, sous-officier commissaire de marine, prisonnier à Trafalgar, décédé le 8 janvier TODO en captivité en Angleterre.
  3. Marie-Louise-Victorine, née le 30 mars 1782 à Saint-Martin-de-Ré. Elle épouse le 18 janvier 1814 Louis-Guillaume, baron de Liniers.
  4. Joséphine.

Notes

  1. Selon les plus récentes estimations, 1 244 à 1 411 prisonniers sont exécutés à Paris, soit de 45 à 51% de de la population carcérale de la capitale. La majorité d'entre eux sont des prisonniers de droit commun et des prostituées. Cependant, les principales cibles des assassins restent les prêtres, les aristocrates et les opposants politiques. C'est au cours de ces massacres que trouva la mort le dernier évêque de Saintes, Pierre-Louis de La Rochefoucauld.
  2. Née à La Rochelle le 9 janvier 1763, de Joseph-Blaise-Pascal d'Abbadie et de Marie-Madeleine-Arrangée Dusmesnil Roland, divorcée de Paul-Charles Dubreuil de Théon de Chateaubardon, comte de Guitaut, ancien officier au régiment de Jarnac dragons, dont elle a trois enfants.

Références

  1. Société des archives historiques de la Saintonge et d’Aunis, éditeur. Revue de la Saintonge et de l’Aunis, volume 14. A. Picard et Z. Mortreuil, Paris, Saintes, 1894.
  2. 2,0 et 2,1 René-François-Eugène Eschassériaux. Assemblées Électorales de la Charente-Inférieure 1790–1799. L. Clouzot, Niort, 1868.
  3. Adolphe Robert et Gaston Cougny, éditeurs. Dictionnaire des parlementaires français (1789–1889). Edgar Bourloton, Paris, 1889–1891.
  4. Barthélemy Maurice. Histoire politique et anecdotique des prisons de la Seine, contenant des renseignemens entièrement inédits sur la période révolutionnaire. Guillaumin, Paris, 1840.
  5. Adolphe Granier de Cassagnac. Histoire du directoire, volume 3. Meline Cans et Cie, Livourne, Leipzig, 1852.
  6. 6,0 et 6,1 Louis-Mortimer Ternaux. Histoire de la Terreur 1792–1794, volume 3. Michel Lévy Frères, Paris, 1863.
  7. « À la lecture faite, par un membre de l’Assemblée, d'une lettre du sieur Jouneau, l'un de ses membres, détenu dans les prisons de l'Abbaye, il est décrété qu'il sera sur-le-champ élargi, et tenu de se rendre de suite dans la salle du corps législatif. » - Procès verbal de l'Assemblée nationale, séance du 3 septembre 1792.
  8. 8,0 et 8,1 Louis Audiat. Deux victimes des septembriseurs : Pierre-Louis de La Rochefoucauld dernier évêque de Saintes et son frère, évêque de Beauvais. Desclée, de Brouwer et Cie, Lille, Paris, 1897.
  9. Pierre-Damien Rainguet. Biographie saintongeaise, ou dictionnaire historique de tous les personnages qui se sont illustrés par leurs écrits ou leurs actions dans les anciennes provinces de Saintonge et d’Aunis, formant aujourd'hui le département de la Charente-Inférieure, depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours. Dépot général de la Biographie saintongeaise, Saintes, 1851.